Les 75 ans de Keith Jarrett
Pour et sur le site www.singulars.fr, Ezéchiel Le Guay nous éclaire sur l’émission 59 rue des Archives de la radio TSF Jazz laquelle rend hommage à l’occasion des 75 ans le 8 mai à Keith Jarrett.
Et l’émission de définir Jarrett comme « un chercheur qui a atteint la perfection à plusieurs reprises le long de son immense carrière ».
Enquête et étapes marquantes afin de comprendre comment ce virtuose de l’improvisation transcende toutes les étiquettes tout en se renouvelant.
[1966-1969] Un autodidacte qui booste le quartet de Charles Lloyd
Né à Allentown en Pennsylvanie, Keith Jarrett débute le piano classique à l’âge de trois ans et donne ses premiers concerts à sept ans. Il apprend ensuite le jazz en autodidacte et se rend en 1964 à New York pour tenter sa chance. Après cinq mois de misère, il est enfin repéré et intègre le célèbre groupe des Jazz Messengers en 1966. Sa carrière commence.
Quatre mois plus tard, il quitte le groupe et intègre le quartet de Charles Lloyd. Ce dernier devient alors la formation de jazz la plus demandée. Elle connaît un véritable succès alors que le rock s’est imposé. Le quartet est même programmé au Fillmore à San Francisco en 1966, une des grandes salles de spectacle de la scène musique psychédélique et de la contre-culture hippie qui a même vu passer en autres les Pink Floyd. Il devient le premier groupe de jazz à investir le lieu. C’est un tel succès qu’ils reviennent l’année suivante avec toujours autant d’énergie et enregistrent le morceau ci-dessous. En 1969, le groupe se dissout. Jarrett rejoint Miles Davis pour un an et demi sans véritablement s’épanouir.
[1971-2020] L’extraordinaire fécondité créative avec Manfred Eicher d’ECM
En 1971, Keith Jarrett reçoit l’appel de Manfred Eicher, un jeune producteur qui a fondé le label ECM deux ans plus tôt. Keith Jarrett est séduit par sa vision nouvelle de la musique. Eicher lui propose de faire son premier enregistrement solo, Jarrett accepte. Il enregistre ainsi l’album, Facing You, sorti en 1972. Il permet au pianiste de donner une vision bien plus personnelle de sa musique. D’après la revue Coda : « Le naturel est le secret de l’attractivité universelle de Keith Jarrett et la raison pour laquelle Facing You est un classique représentant l’achèvement ultime de l’artiste ». Cet album – hélas introuvable – marque la naissance d’un style éminemment personnel. Son second concert en solo au Molde Jazz Festival (1971) confirmera qu’il restera toute sa carrière selon les auteurs de 59 rue des Archives David Koperhant, Bruno Guermonprez : un chercheur.
Le génie tient dans un instant (Valéry)
Tâchons de ne pas nous perdre dans l’immense discographie ECM de Keith Jarrett aussi bien jazz que classique (au clavecin pour Bach, notamment) en privilégiant notre sélection d’enregistrements en solo (à écouter sur spotify) .
Ce qu’il y a en effet d’assez unique chez cet artiste est qu’il fait des concerts à partir de rien. Il rentre dans la salle sans savoir du tout ce qu’il jouera. Généralement, les artistes de jazz partent de morceaux connus ou de compositions qu’ils connaissent. Keith Jarrett se lance le défi de se laisser emporter par la salle, le piano ; l’instant. Au sujet de l’improvisation, Paul Valéry, dans Tel quel énonce d’ailleurs que « le génie tient dans un instant ».
La dynamique retenue de l’improvisation
Lors de ses improvisations totales, il crée la mélodie tout en l’harmonisant en même temps. D’après ses propres termes, « l’artiste est responsable de chaque seconde ». Très souvent, il part d’un motif rythmique pour en faire une base de départ du morceau. Il insiste dessus et fait en sorte de développer un long crescendo. Pour faire évoluer son morceau, il choisit de prendre une direction en changeant de tonalité (modulation). Tout cela le fait souvent rentrer dans un état second où il se laisse pleinement envahir par la musique, où il rentre en transe. Voici en effet sa conception, selon ses mots, de l’improvisation : « c’est l’irruption de l’ouragan d’une volonté divine » (livret de l’album Concerts, Bregenz/München)
« Il n’a cessé de vouloir être multidimensionnel, conclue Jean-Pierre Jackson dans une très sobre et éclairante biographie parue en 2019 (Actes Sud). et en même temps dépossédé de soi pour n’appartenir qu’à la musique». Ce que 59 rue des Archives restitue avec pertinence.