Fortunes de mer ou les mésaventures des coureurs du large
La TRANSAT JACQUES VABRE a été l’occasion de mésaventures de certains skippers. Explications de cette course.
Vagues courtes et creuses, mer verte blanchie d’écume, la baie de Seine avait des airs de chaudron, mardi 7 novembre, alors que se profilaient coques et voiles multicolores des Imoca, ces monocoques de 18,25 m pour prendre, enfin le départ de la 16è édition de la Transat Jacques Vabre au large du Havre. Cette course à la voile sur les traces des routes du café renoue avec la grande époque où le port du Havre était l’une des plaques tournantes de l’importation de la boisson numéro un dans le monde.
Cette course courue à deux skippers par bateaux rassemble 95 concurrents répartis en 4 catégories : les plus petits monocoques de 12,19 m (les Classe 40) au nombre de 44 portant 250 m2 de voilure sur un mât de 19 m, les 40 Imoca monocoques de 60 pieds soit 18,28 m poussés par 500 m2 de voiles sur un mât de 29 m, ceux là même qui s’alignent au Vendée Globe, les 6 Ocean Fifty, des trimarans de 15,24 m ( 3 coques) portant 270 m2 de toile sur un mât de 23,77 m et enfin les géants des mers à savoir 5 Ultim, trimarans de 32 m sur 23 m de large, doté d’un mât de 37 m et d’une voilure de maximum 700 m2. N’y aurait eu la tempête « Céline » suivie de la très grosse dépression « Ciaran », tous ces bateaux étaient attendus dimanche 29 octobre sur l’eau au large de l’esplanade Nelson Mandela du Havre.
Finalement, la direction de course a laissé au port pendant 8 jours, les 40 Imoca en attendant des perspectives météo meilleures. Les Ultim assez rapides pour échapper à la tempête, sont partis le dimanche 29 octobre vers La Martinique dans des geysers d’eau à 30 noeuds (plus 50 km/h ) glissant au dessus de l’eau grâce à leurs fameux foils, ces gigantesques spatules qui sortent de chaque côté des bateaux leur permettant de décoller en s’appuyant sur la surface de l’eau. Les Ocean Fifty ont suivi. Ils volaient littéralement telles des libellules affleurant à peine cette mer pourtant bien formée.
Pour les Classe 40, plus petits et bas sur l’eau, les creux assez courts étaient bien inconfortables. Comme pour les précédents, l’organisation avait prévu un arrêt de plusieurs jours, sur la route, à Lorient, afin de laisser passer le gros mauvais temps. Ils avaient néanmoins à faire un bord proche de la longue promenade maritime de la ville, pour virer une bouée « spectacle ». Un début de parcours non sans danger compte tenu de la force du vent, 30-35 noeuds, de l’état de la mer, des courants forts et du nombre de bateaux. « Il s’est passé ce qui devait se passer » nous explique Kito de Pavant, un des deux skippers de « Movember ». Alors qu’il virait en 5è position la bouée un concurrent, « Curium » a changé sa trajectoire et est venu s’empaler dans le travers de « Movember » arrachant avec son bout-dehors les chandeliers garde-fous, transperçant la grand voile avant de casser la bôme en retombant sur le pont. « Notre chance est de ne pas avoir été blessé » ajoute avec philosophie le skipper qui a néanmoins reçu un violent choc à l’épaule. Au vu des dégâts et des budgets de réparation en jeu, la course s’est terminée pour ce concurrent une demi-heure après le départ. En revanche, « Curium » a poursuivi sa route reportant ses réparations à l’escale de Lorient.
Quelle déveine pour ce marin de Méditerranée, toujours souriant, joyeux entreprenant qui était si heureux le matin même de quitter le quai pour une nouvelle aventure sur le bateau de Bertrand Guillonneau, amateur passionné de course et chirurgien-urologue dans la vie. Le duo courait aux couleurs d’une campagne de communication avec collecte de dons pour les cancers masculins… Quand on pense aux mois de travail intense que représentent les préparatifs d’un tel engagement, les acrobaties quotidiennes pour jongler entre les exigences professionnelles et l’entrainement, on se dit qu’il faut avoir le baromètre du moral sur très haute pression pour pratiquer ce sport…. « La voile est sur ce plan une discipline assez ingrate. On sait que cela fait partie des aléas avec les démâtages, les cachalots, les ofni qui peuvent anéantir en quelques secondes l’aventure et les espoirs sportifs » constate Kito de Pavant qui a du abandonné deux fois le Vendée Globe à cause de ce genre d’incident. Le jury ayant tranché sur les torts partagés ( l’un des bateaux n’était pas prioritaire car bâbord amure, le vent venant de sa gauche et l’autre aurait du se dérouter mais ne l’a pas fait), le programme de course de Movember est bien compromis.
Pour l’équipage havrais de Seafrigo-Sogestran, Cédric Chateau et Guillaume Pirouelle, aussi victime d’une collision au même moment et au même virement entraînant son retour au port, le scénario catastrophe a évolué au fil des minutes qui ont suivi son abordage par « Café joyeux ». « Pendant le retour à terre on s’est demandé tout de suite comment réparer. C’est un objectif que l’on prépare depuis un an. Pas question d’abandonner » explique Cédric Chateau qui précise « on était dans un entonnoir pour virer cette bouée « spectacle » et avec 30 noeuds de vent c’était vraiment risqué ». Le duo normand a bénéficié de la solidarité d’autres équipes et a trouvé, un dimanche, les services d’un transporteur cherbourgeois qui a pu convoyer, grâce aux autorisations des services de l’Etat nécessaires pour un convoi exceptionnel, le bateau du Havre à Lorient. Dès le 1er novembre, il a été mis en chantier dans le hangar d’Apicil, l’Imoca de Damien Seguin, champion olympique en handivoile en 2004 et 2016… pour réparer son gros trou dans la coque. Trois jours de travail !
Bien que le gros temps soit à l’origine de la collision, la tempête n’aura donc pas eu que des mauvais côtés pour ces deux marins puisqu’ils ont pu retrouver à Lorient -de manière très peu orthodoxe- leurs concurrents et réparer en attendant le 2è départ donné lundi 6 novembre. Le jury a tranché en leur faveur et leur accorde une compensation ce qui leur a permis de repartir à armes égales de Lorient et garder toutes leurs chances d’un bon résultat.