Arkea Ultim Challenge-Brest : la course de tous les excès
Au départ de Brest, ils sont six solitaires à bord de trimarans géants en route pour un tour du monde en course.
Cette course est un défi humain et technologique hors norme.
Depuis le 29 décembre, Brest est en effervescence sur ses 10 000 m2 de quais et de pontons et ce dimanche la rade sera blanchie par les dizaines d’embarcations accompagnant les 6 voiliers « géants des mers » qui partent à 13h30 pour une folle aventure en solitaire autour du monde. L’ADN de cette course, c’est la démesure. Des trimarans (bateaux à trois coques) de 32 m de long sur 23 m de large, avec un mât pointant à 34 m, à bord desquels les skippers seront seuls à la manoeuvre. Certes, ils seront en communication presque permanente avec leur équipe à terre, notamment pour les aider dans les choix de la route en fonction de la météo. Mais la navigation, les changements de voiles, les prises de ris ( réduction de la surface de la grand-voile) nécessitant des interventions physiques très exigeantes, la veille 24 h sur 24 h avec des temps de repos limités à 20 mn ponctués d’alarmes pour ne pas sombrer dans un sommeil trop profond, la surveillance anxiogène des objets flottants, source de casse ou des icebergs, des growlers (masse de glace entre deux eaux) pouvant dériver dans l’océan Pacifique, les déferlantes énormes et menaçantes, ce sont autant de facteurs de stress et de fatigue qui font de cette course un vrai défi humain. Mais pas que. C’est un colossal défi technologique compte tenu les forces en puissance.
Ces bateaux fabriqués en carbone sont équipés de « foils », sorte de spatules géantes de près de 6 m qui sortent de chaque côté des coques et sur lesquelles le bateau s’appuie sous l’effet de la puissance du vent pour s’élever au-dessus de la mer et littéralement voler. Plus le trimaran va vite , plus ça le pousse hors de l’eau.
Mais pour réaliser ces machines aussi audacieuses que folles, les ingénieurs ont dû concevoir des dizaines de formes avant de trouver celle qui interagit le mieux avec les vagues et le vent. Ainsi, sur le maxi Edmond de Rothschild dont le budget n’est guère limité, 26 profils de foils ont été testés avant d’aboutir aux performances espérées.
Pour voler, interviennent aussi les « plans porteurs » des safrans (les gouvernails installés en bout des coques extérieures) qui se terminent par un petit plan horizontal. De même, la dérive centrale est dotée de cette « plaque » horizontale baptisée aile de raie, qui vient en soutien des autres appendices poussant le bateau hors de l’eau. L’ensemble assure à ces « Ultimes » l’amorce du vol avec 12 ou 14 noeuds de vent ce qui est très peu.
Sur la ligne de départ, trois novices : Anthony Marchand, 38 ans, sur Actual qui a néanmoins l’expérience de la Transat Jacques Vabre (TJV) de novembre dernier, tout comme Tom Laperche sur SVR Lazartigue. A 26 ans, c’est le benjamin de la bande qui faisait, il y a un an, des merveilles sur la course en Solitaire du Figaro (disputée à bord d’un monocoque de 10,89 m très physique et rapide). Il a été repéré par François Gabart, lui aussi talentueux et ingénieux skipper, vainqueur du Vendée globe qui détient le record du tour du monde en solitaire sans escale en 42 j 16h 40’ et 35’’ (sur Macif devenu Actual) et qui a décidé de passer la barre à son jeune équipier. Enfin Eric Péron, 41 ans, sur Adagio dont l’expérience multicoque se résume à une saison en Ocean Fifty (15,24 m) et qui « va vivre l’aventure de sa vie ». Les trois autres sont des marins chevronnés autour du monde, à commencer par Thomas Coville sur Sodebo qui à 55 ans, est en route pour son 6è tour du monde en équipage ou en solitaire sur monocoque et multicoque.
Charles Caudrelier, 49 ans, sur Edmond de Rothschild, a déjà fait deux tours du monde en course, mais en monocoque. Il était favori de ces grandes courses océaniques ces dernières années jusqu’à ce qu’Armel Le Cléac’h, 46 ans engrange dans la TJV sa première victoire en maxi multi sur Banque Populaire, le confortant dans un statut de possible vainqueur.
Un départ hivernal, mais une météo idéale assurant un joli spectacle avec du vent portant à 10 -12 noeuds, suffisamment pour pousser ces géants en moins de 24 h au Cap Finistère, la pointe ouest de l’Espagne. Une nouvelle aventure maritime est en route pour avaler 25 000 milles en une quarantaine de jours, mais elle ne sera pas sans embuche.
Patricia-M. Colmant
photos d’Alexis Courroux