Les pépites du Mois Molière 2024
Chaque année au mois de juin, le Mois Molière donne à Versailles un petit air de festival d’Avignon avant l’heure. L’occasion pour les gourmands de théâtre de faire le plein de spectacles et de découvrir notamment les créations des troupes professionnelles accueillies en résidence permanente dans la ville. Retour sur les moments forts de ce mois tourbillonnant. Ces pièces partent ensuite en tournée. Alors, à vos agendas !
LE REVIZOR de Nikolaï Gogol, mise en scène de Ronan Rivière, en collaboration avec Aymeline Alix – Collectif La Voix des Plumes
Dans une petite ville de province russe, un jeune Pétersbourgeois endetté, Khlestakov, est pris à tort pour l’Inspecteur général ou « Revizor ». Le Gouverneur et ses adjoints se pressent alors dans sa chambre d’hôtel pour l’amadouer à coups de flatteries et de pots-de-vin. C’est que l’administration de la cité laisse quelque peu à désirer : les malades hospitalisés tombent comme des mouches, les coups de fouet s’abattent sans crier gare. Les notables risquent gros si ces désordres venaient à se savoir…
Publiée en 1836, cette satire du pouvoir et de la corruption n’a rien perdu de sa fraîcheur. On rit beaucoup des quiproquos qui s’enchaînent. Et surtout on est conquis par le talent des comédiens, tous formidables. Ronan Rivière campe à merveille un Khlestakov trop content de l’aubaine, mais qui ne tombe pas dans l’abjection pour autant. Michaël Giorno-Cohen joue parfaitement un Gouverneur corrompu à souhait, mais qui retrouve son humanité dans la terreur d’être destitué. Quant aux fonctionnaires Bobtchinski & Dobtchinski (Jérôme Rodriguez et Hassan Tess), ils incarnent d’épatants Dupond & Dupont à la sauce slave. Ne ratez pas cette nouvelle création de Ronan Rivière qui propose comme à chaque fois un théâtre à la fois populaire et exigeant.
Distribution : Ronan Rivière, Michaël Giorno-Cohen, Laura Chetrit, Jérôme Rodiguez, Hassan Tess, Luc Rodier et Olivier Mazal au piano.
Musique : Léon Bailly
Calendrier de la tournée.
L’ÉTAT DE SIEGE d’Albert Camus, mise en scène d’Emmanuel Besnault – Compagnie L’Éternel été
Créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette pièce de théâtre a pour thème la résistance face à au totalitarisme, sujet cher à Camus. Dans une petite ville tranquille, la Peste s’empare du pouvoir, promettant d’apporter « le silence, l’ordre et l’absolue justice ». Cette sinistre figure est accompagnée de sa Secrétaire, échelon ultime d’une administration pointilleuse au service d’une logique cruelle et inhumaine : « À partir d’aujourd’hui, vous allez apprendre à mourir dans l’ordre. (…) Vous aurez vos fiches, vous ne mourrez plus par caprice. » Très vite, la voix des citoyens est bâillonnée, on promulgue des réglementations absurdes, l’arbitraire s’abat sur les habitants. Dans ce climat de terreur, un couple d’amoureux se révolte.
La mise en garde de Camus contre les dictatures n’a évidemment rien perdu de son actualité. Et en débarrassant le texte de son contexte géographique (la pièce se passe initialement en Andalousie), Emmanuel Besnault renforce encore plus son caractère universel. La mise en scène épurée et les acteurs, dont les voix s’unissent parfois tel un chœur antique, servent admirablement ce grand texte à l’écriture limpide et efficace. À voir de toute urgence.
Distribution : Arthur Baratin, Laurie Iversen, Sylvain Lecomte, Benjamin Migneco, Geoffrey Rouge-Carrassat, Frédérique Voruz, Yuriy Zavalnyouk.
Calendrier de la tournée.
PARIS-ISTANBUL, DERNIER APPEL,d’après l’œuvre de Sedef Ecer, adaptation de Sedef Ecer, Clémence Audas, Éric Bouvron, Elenea Michielin-Flamminio et mise en scène d’Éric Bouvron – Compagnie Les Passionnés du rêve
En 2016, un énième coup d’État en Turquie contraint Defné Keder, autrice d’origine turque installée depuis plusieurs années dans la capitale française, à reporter son voyage à Istanbul. Le téléphone et Internet seront dorénavant ses seuls liens avec ses parents et sa meilleure amie, et c’est de loin qu’elle assistera au basculement du pays dans l’islamisme. Ce temps suspendu est pour elle l’occasion de sonder ses souvenirs d’enfance. À coups de flash-backs, Defné Keder convoque la petite fille qu’elle a été.
Dans ce texte fortement teinté d’autobiographie, la romancière, dramaturge et actrice franco-turque Sedef Ecer nous invite à une plongée dans la mémoire intime et dans celle de son pays natal, à l’histoire politique mouvementée. Structuré sous forme de tableaux, le texte est superbement servi par la mise en scène pleine de souffle d’Éric Bouvron, magicien du plateau qui, avec trois fois rien, nous emporte ailleurs. Le ton est d’autant plus juste que c’est Sedef Ecer elle-même qui joue Defné Keder, son alter ego. Les deux autres comédiennes interprètent avec humour et tendresse toute une galerie de portraits, du mari aux jumelles adolescentes en passant par la femme de ménage. Les petits moments du quotidien, pleins de drôlerie, contrastent avec l’éloignement douloureux et la peur pour les proches, menacés par un pouvoir autoritaire et inquisiteur. Paris-Istanbul, dernier appel nous offre un grand moment de théâtre où le talent et la créativité sont au service de l’émotion et du plaisir du spectateur.
Distribution : Sedef Ecer, Clémence Audas, Elenea Michielin-Flamminio.
Calendrier de la tournée.
S.D.
Photo d’ouverture : L’État de siège, m.e.s. d’Emmanuel Besnault © G.G.
Crédit pour toutes les photographies : © G.G.