A Thiers, les couteaux sont une tradition et un art
Direction Thiers pour le prochain salon des couteaux, lesquels reflètent une tradition, un art de la ville.
Monter son canif soit même, admirer des pièces élégantes, ornées de loupe d’orme ou de molaire de mammouth, voir une forge en action depuis la poudre de minerai de fer jusqu’au martèlement de la lame, autant de possibilités offertes aux milliers de visiteurs attendus ce week-end de Pentecôte à Thiers (Puy de Dôme). La capitale du couteau organise, comme chaque année, Coutellia, le Festival du Couteau d’Art et de Tradition, autour de 300 exposants venus de 21 pays. Une réunion unique en Europe qui a vu son succès progresser depuis cette Pentecôte de 1980 où quelques couteliers thiernois s’étaient inquiétés de l’effondrement de leur activité et avaient lancé ce festival, alors très confidentiel.
Pourtant, la modeste rivière Durolle et ses embardées tempétueuses peut s’enorgueillir d’être à l’origine de la seule industrie manufacturière française à avoir traverser huit siècles et toutes les crises s’y afférent. Elle est toujours debout et numéro un du secteur depuis 1582… A l’époque Henry III donna patente aux couteliers thiernois de pratiquer leur métier « au nom du roi » (la 1ère Jurande ou charte corporative).
Les couteliers d’aujourd’hui, de plus en plus jeunes et nombreux, n’oublient pas ce poids de l’histoire sur leur profession. Il leur donne confiance dans l’avenir. La cité ne comptait plus qu’une vingtaine de fabriques à l’époque du premier Coutellia. Un siècle plus tôt, 15 000 personnes réparties dans 400 entreprises fabriquaient des couteaux de poche, pour la table, le ménage, les métiers de bouche, les vignerons, les agriculteurs ou les électriciens. Toutes sortes d’objets tranchant sortaient des ateliers au pied de la Durolle. Dans les fermes alentours, c’était l’activité hivernale des paysans, chacun exerçant une seule fonction sur l’objet, affinage, polissage, montage du manche y compris la pose de viroles dotées d’une petite abeille, signature des Laguiole si prisés. Car depuis le XVI siècle, c’est ici que sont fabriqués la plupart des couteaux régionaux dont le plus célèbre, celui à l’abeille.
« On faisait les couteaux de tout le monde mais nous n’avions même pas notre propre modèle ! » raconte Dominique Chambriard, héritier d’une longue lignée de couteliers et vice-président de la confrérie du « Couté de Tié ». Ce n’est qu’en 1993 que les derniers maîtres « du fer et du feu » ces experts « de l’intelligence de la main » comme dit notre interlocuteur, réalisent la nécessité de se serrer les coudes. « On a compris que notre avenir passait par l’innovation, l’originalité, le design » poursuit le coutelier. A l’initiative de Jean-Pierre Treille, petit-fils et fils de coutelier, la Confrérie est fondée et rassemble des artisans, des industriels, des designers et des passionnés de coutellerie. Ensemble, ils créent en 1994 LE THIERS, à la ligne résolument moderne. Ce couteau se décline désormais chez tous les fabricants adhérents et pour différents usages, soit aujourd’hui 700 modèles qui bénéficient de l’aura de la marque collective « Esprit de Thiers » soutenue par 140 ateliers.
Soucieux de transmission, le Festival met l’accent cette année sur le public jeune « car nous avons de plus en plus de familles » constate Dominique Chambriard. Au menu, concours de la création coutelière, montage pour les adolescents de son propre ‘LE THIERS’ et atelier dessin. Le plus beau couteau sélectionné par un jury sera confié à un de ses membres qui le fabriquera en vue de la remise à l’auteur du dessin en 2025. « Nous fabriquons des outils conviviaux et pacifistes. C’est important de montrer aux plus jeunes la beauté des gestes de la main » conclut Dominique Chambriard qui veut croire « que l’on n’agresse pas une petite vieille avec un bel outil que l’on a façonné ». Une référence à peine voilée à l’actualité dramatique et ses rumeurs de législation restrictive sur le port de couteau source d’inquiétude au sein de la profession.
Patricia- M. Colmant
Coutellia, 18 et 19 mai 2024, avenue du Progrès 63300 Thiers, entrée 10 € et 15 € pour le week-end, gratuit -15 ans, 9h-18h samedi et 10h-18h dimanche