Nouvelle de Guy de Vanssay : La prune au Père Chéron
Essayiste, Guy de Vanssay nous livre ici une de ses courtes aventures lors d’une promenade dans son Perche.
A vous de lire « La Prune au Père Chéron ».
Le pays où j’habite se situe aux confins du Perche, une région mamelonnée de collines modestes mais qui se répètent par rebonds et dont les croupes se succèdent indéfiniment. Elles sont couvertes de champs, de bosquets, de forêts qui en font une mosaïque variée. Des chemins étroits et très anciens sillonnent ce bocage, fendant la rondeur du paysage et se retrouvant vite inondés quand le temps vire. Rien n’est droit chez nous, le relief, les rivières, les routes et les chemins. Ça et là demeurent des villages oubliés où la vie est calme et quand on s’en éloigne on trouve quelques fermes isolées, des bâtisses modestes aux portes et fenêtres entourées de briques et, autour, quelques arbres fruitiers un jardin et un gros chien qui veille au grain. C’est aussi comme ça chez le Père Chéron.
Comme les promenades solitaires dans cette campagne sont charmantes avec les beaux arbres, les chevreuils, les fleurs sauvages, il est bien agréable également de faire étape chez ce fermier retraité que je connais depuis mon enfance. Sachez que vous serez considéré comme le pire des Ostrogoths si vous n’acceptez pas le verre qu’on vous propose. C’est parfois de « la rose de nymphe émue » mais plus souvent de l’épine ou de la prune. La prune du Père Chéron : c’est un monument. Vous ne la verrez jamais chez Fauchon ni dans ces magasins aussi raffinés qu’aseptisés. C’est un breuvage franc et massif pour gabarit en conséquence et humeur de bon aloi. Les gens qui se pincent le nez sont des gens qui ne peuvent pas se sentir ! Personne n’a jamais su à combien cette eau-de-vie titrait et de toute façon tout le monde s’en fiche.
Il faisait beau ce jour-là, Juillet tapait fort et j’en ai profité pour passer un moment à l’ombre dans sa ferme. Mon Dieu qu’elle était bonne, violente et salutaire cette gnôle ! On est si bien chez ce vieux bonhomme qui cause pragmatique, rusé, drôle et imagé à la fois, comme les paysans d’ici savent si bien le faire. Je constatais ça alors que je venais de finir mon deuxième verre et je regardais son fond où était inscrit : « Duralex ». Le même qu’à la cantine de l’école ! Je ne sais plus si avant de repartir il m’a resservi. Peu importe.
J’ai eu du mal à atteindre ce petit bois et j’ai décidé de m’y reposer à l’ombre. Derrière un talus moussu s’élevait un grand chêne dont le pied rebondi ressemblait à un oreiller. C’est là que je me suis assoupi.
Les chinois venaient de se substituer aux allemands de l’autre côté du Rhin. On regrettait vivement nos voisins germaniques et on ne pensait même plus à leurs incursions désagréables tous les 50 ans. Le gouvernement était sur les dents car on trouvait les asiatiques beaucoup plus sympathiques quand ils étaient de l’autre côté de la planète. L’Espagne avait été envahie par les argentins et Maradona, le président, était aussi populaire que brouillon et imprévisible dans sa politique. A Bruxelles on se rongeait les ongles. Kim Jong Un nous narguait de la Corse en nous balançant des missiles minables dont la portée dépendait du poids de l’explosif. Il réussit pourtant une fois à nous envoyer un pétard dans le Vieux Port, mais la charge était si légère que seulement quatre sardines furent déplorées comme victimes. Le seul pays qui gardait les mêmes ressortissants était la Grande Bretagne. En revanche, suite à un Brexit très sévère il était devenu impossible de trouver la moindre bouteille de vin dans l’île. De nombreux migrants britanniques tentaient alors des traversées de la Manche dans des embarcations de fortune et certains d’entre eux périrent en mer. La gauche prit fait et cause pour les Anglais et la reine l’en remercia. On a beaucoup ri en voyant à la télévision un Mélenchon tout emprunté à Buckingham et embarrassé avec sa tasse de thé.
C’est avec l’impression de porter un casque à boulons que je repris mes esprits. Un petit sentier qui n’est pas sur les cartes mais que je connais me ramènera doucement chez moi. Même pas mal ! Je recommencerai si je veux.
Guy de Vanssay