Une découverte parisienne
Expérience et courte nouvelle par notre nouvel auteur à la fantaisie débordante, Guy de Vanssay qui nous livre quelques mots sur une découverte qu’il a faite dans la capitale.
Je ne sais pas si, vous aussi, vous avez aperçu cet immeuble remarquable sis à l’angle de la rue Cardinet et de l’Avenue des Gobelins. C’est un bâtiment parfaitement anodin au point même que, s’il se faisait un concours d’architectes pour créer quelque chose de plus neutre, beaucoup et des meilleurs jetteraient l’éponge. A l’entrée figure une plaque où il est mentionné « Association Grouchy » et plus bas, en lettres plus larges « C’est ici ». Au fond du bâtiment, se trouve une cour dont on entrevoit une porte fermée avec un verrou extérieur.
Vous je sais pas, mais moi ça m’intriguait depuis longtemps
Vous, je ne sais pas, mais moi ça m’intriguait depuis longtemps et il a fallu un hasard extraordinaire pour qu’un jour je puisse y pénétrer. Un de mes amis souffre d’une timidité maladive en plus d’un problème d’hydropathie chronique et il se trouve qu’une association mise en place par la municipalité parisienne permet d’être aidé gratuitement pour surmonter ce mal, de même qu’une autre pathologie, la distraction aigüe. La thérapie est basée sur les échanges dans un groupe et s’inspire de celle des alcooliques anonymes.
Deux psychologues sont à l’initiative de ce beau projet. Renato Parici s’est fait un nom dans le traitement des distractions excessives et sa consœur, Michèle Loseille, est spécialiste des craintes inhibantes. L’association Parici-Loseille convainquit la Mairie de Paris, reçut des subventions et un local fut mis à sa disposition. J’appris aussi pourquoi le groupe de Monsieur Parici s’appelait l’Association Grouchy. C’était en référence au général de Grouchy (1766-1847) qui passa à la postérité grâce à ses talents militaires et sa passion pour les fraises des bois. Pour ceux qui jouaient au morpion pendant les cours d’histoire, je rappelle que c’est parce qu’il dégustait des fragaria vesca, qu’il oublia de se rendre sur le champ de bataille de Waterloo où, comme chacun sait, il aurait été bien utile. Napoléon en fut froissé durablement.
Mon ami est tellement mal à l’aise devant les autres qu’il m’a demandé de venir à la réunion avec lui. Arrivés devant l’immeuble, nous sommes passés devant la plaque de l’autre groupe pour gagner la porte verrouillée de la cour intérieure. Madame Loseille nous y attendait. Quand je lui ai expliqué que je venais juste accompagner mon copain, elle m’a lancé :
– Quelle chance ! Je dois m’absenter 5 petites minutes pour voir mon collègue, vous pourriez me remplacer, il s’agit juste d’accueillir les participants et de les faire parler en évitant les sujets épineux.
– Mais vous pensez vraiment que je pourrai le faire ? dis-je un peu inquiet.
– Pas de soucis, c’est très simple et c’est un groupe facile. Ah une chose encore ! N’oubliez pas de fermer le verrou une fois tout le monde rentré.
– Ah bon, mais pourquoi un verrou extérieur ?
– C’est pour éviter que la timidité ne les fasse fuir.
Il y avait déjà cinq personnes, un peu mal à l’aise de se trouver là et je remarquais une jolie jeune femme qui me convainquit sur le champ que peut-être je pouvais rendre service. Sont-ce les réminiscences du catéchisme ou la conséquence de la bonne éducation que mes parents ont tenté de me donner, mais au contact de certaines personnes esseulées et vulnérables je me sens rempli de sollicitude et de projets altruistes ? Elle avait de beaux yeux dont la couleur se situait à mi-chemin entre l’huitre et son biotope, et ses cheveux avaient la teinte d’un champ d’orge juste avant qu’une Massey-Fergusson MF 7360 AL4 ne fasse la moisson (la version Béta permet des résultats extraordinaires en terrain accidenté mais le prix s’en ressent. Forcément.) Le reste de son anatomie laissait filer l’imagination. Passons.
– Ravi Mademoiselle de faire votre connaissance à cette occasion.
La belle piqua un fard aussi rapide que spectaculaire, un caméléon aurait apprécié la performance. Je réussis pourtant à engager la conversation et elle me confia que sa timidité excessive lui rendait la vie impossible. Par exemple, lors du jour de son mariage, quand le maire lui demanda son consentement, elle était si inhibée qu’elle fut incapable de ne rien dire. Depuis elle est célibataire.
Tout le monde s’était installé et la thérapie de groupe allait débuter lorsque la porte s’ouvrit d’un coup.
– Bonjour, moi je suis Master K de Villepinte.
– Bonjour Master K, répondirent les autres en chœur.
– Qu’est ce qui vous amène ici ? demandais-je aimablement au nouveau venu.
– Je suis venu ici pour m’en sortir. Avec mon problème j’ai des difficultés professionnelles. Faut que je surmonte ça !
– Merci pour votre franchise Master K, on peut applaudir Master K, lançais-je tandis que je gagnais en assurance.
Les participants applaudirent et jalousaient son aplomb. Il poursuivit.
– Je me suis fait serrer par les keufs, parce que j’avais laissé les papiers de ma voiture dans un pavillon que je venais de visiter. Pour eux ça a été coton de me retrouver. Ils m’ont envoyé en cabane et là j’ai réfléchi. C’était pas bien ce que je faisais. Je me suis dit qu’il fallait que je change.
– Bravo Master K, on peut l’applaudir encore.
– Si je suis plus distrait, je me ferai plus prendre. Faut que je guérisse de ça.
C’est à ce moment-là que Madame Loseille revint dans la salle. Elle me chuchota :
– C’est une erreur, il s’est trompé de groupe, ça arrive souvent avec les patients distraits.
– Ah oui, je trouvais aussi qu’il avait beaucoup d’assurance pour un timide…
J’étais libéré de cette courte expérience de thérapeute, j’ai enfilé ma veste et je suis sorti assez songeur. J’ai bien fermé le verrou derrière moi.
Guy de Vanssay