Billet d’humeur : Le Contrevenant
Au détour de mes pérégrinations touristiques, j’ai rencontré Guy de Vanssay, un littéraire, un semi Balzac de la littérature doublé d’un Pierre Dac de l’humour, la tête dans les nuages, les doigts rivés au clavier pour écrire et le regard légèrement embué de ne point avoir trouvé un éditeur pour publier ses nouvelles.
Je vous propose de le suivre dans des propos gais, enjoués, tristes, mélancoliques, énervés, féériques ; des mini nouvelles toujours empruntées à notre vie quotidienne.
Il vous livre ici « Le Contrevenant ».
Il y avait du givre sur la végétation au bord de la route et aussi sur la moto. C’était un de ces modèles qui ont une antenne à l’arrière et où devant on peut lire « Gendarmerie.» Au bord du carrefour le sous-brigadier Martin effectuait le contrôle inopiné des attestions dérogatoires de circulation et du niveau d’alcoolémie en configuration nocturne. C’était une idée juteuse puisqu’il y a bien peu de dérogations encore admises vers minuit et aussi pas mal d’automobilistes méfiants des ballons qui espèrent ne rencontrer personne à cette heure tardive. Martin se retrouvait exceptionnellement seul car le collègue avec qui il formait un binôme était parti à la poursuite d’une 307 à la conduite erratique et dans laquelle le conducteur hilare avait jugé bon de montrer un doigt au brigadier. Cela ne se fait pas. C’est aussi ce que pensait le brigadier.
Le sous-brigadier Martin qui se frottait les mains pour se réchauffer restait donc seul à l’intersection lorsqu’un véhicule se présenta sur la voie. Le gendarme le stoppa et s’adressa au conducteur, un vieux monsieur plutôt souriant.
- Bonsoir Monsieur, pouvez-vous me montrer votre attestation dérogatoire s’il vous plait ?
- Ah non je n’ai pas d’attestation.
- Vous savez que c’est obligatoire ? Que faites-vous à cette heure-ci ?
- Je livre des paquets.
- Vous faites des livraisons à cette heure-ci ? demanda le jeune CRS plutôt surpris.
- Oui, je profite de ce que les gens dorment.
- Vous allez en pleine nuit chez les gens qui dorment ? Mais vous ne pouvez-pas leur livrer alors, s’ils dorment?
- C’est pas un souci, je passe par la cheminée.
Le sous-brigadier Martin était très ennuyé. Pendant sa formation il avait appris à tirer des aveux d’individus douteux mais il ne savait absolument pas gérer les gens qui déballent tout avant qu’on ne les suspecte. Et puis il était difficile de qualifier la faute. Un cambrioleur sérieux, qui fait bien son travail, repart avec des paquets mais n’en dépose pas. C’est dans l’ordre des choses. Où va-t-on maintenant si les voleurs déposent des paquets chez les gens ? C’était surement pour se moquer des forces de l’ordre et les déconsidérer qu’on avait monté ce binz.
- Montrez-moi ce que vous avez à l’arrière, dit le gendarme qui cherchait à garder l’ascendant sur le contrevenant.
Le bonhomme souleva une couverture et le sous-brigadier put se convaincre que des dizaines de paquets de toutes les couleurs encombraient tout l’arrière du véhicule. Le gendarme fit le tour de l’engin. « Les patins du traîneau sont usés, vous savez que vous pouvez provoquer un accident avec des patins comme ça ! Même dans le ciel la règlementation s’applique pareille que sur les départementales. Et les rennes devant, c’est où le contrôle technique ? Je vois pas la vignette. Bon ça suffit comme ça je verbalise » dit-il en sortant son carnet avec un grand geste circulaire qui n’aurait pas déplu à Cyrano de Bergerac et Edmond Rostand.
C’est à ce moment-là que mon chien, qui déteste quand je ronfle, m’a réveillé. Cette bouteille de Saint Amour était un petit bijou de fruit et de gourmandise. Si j’avais été raisonnable j’aurais gardé l’autre moitié pour demain.
Mais voilà…..
Guy de Vanssay